Paroles de …

Soeurs

  • Peux-tu me raconter comment tu as vécu les premiers moments où tu as compris que quelque chose n’allait pas chez ta sœur ?
    Je me rappelle que j’essayais de me rassurer en me disant que c’était passager, qu’elle avait beaucoup de choses à régler en ce moment et c’est pour cela qu’elle était un peu éparpillée et parfois pas très cohérente. J’ai beaucoup rationnalisé au début, en règle générale. J’ai un peu minimisé aussi, car j’avais peur.
  • Qu’as tu ressenti à l’annonce du diagnostic (s’il a été posé) ? Quel âge avais-tu à ce moment-là ?
    J’ai été soulagée. J’étais « contente » qu’on mette un mot dessus. De plus, on le soupçonnait vu son comportement depuis plusieurs semaines. Je n’avais pas prononcé le mot « bipolaire » ou même « maladie mentale » auprès de ma soeur directement, mais je le pensais. J’en avais également parlé à ma psychologue qui m’avait confirmé que ça ressemblait bien à des épisodes maniaques. J’avais 30 ans (l’année dernière). Contrairement à d’autres personnes dont j’ai entendu le récit, le diagnostic a été posée très vite pour ma soeur, seulement quelques semaines après les premiers « signes ».
  • En quoi cette situation a-t-elle modifié ta place ou ton rôle au sein de ta famille ?
    Comme ma soeur et mes parents sont souvent en conflit, cela a renforcé mon rôle de messager. J’avais mes parents d’un côté, ma soeur de l’autre, mon frère était un peu au milieu: très présent pour moi, mais pas très proche de ma soeur. Ca a été lourd à porter car j’ai le sentiment que j’ai dû endosser le rôle de mes parents: j’ai contacté le psy de ma soeur, je suis allée habiter chez elle… je ne pouvais absolument pas me reposer sur eux, et ça rajoutait de la difficulté à toute cette situation.
    Je dirais que cette situation a renforcé mon rôle de personne qui tempère, qui était déjà présent avant tout cela.
  • Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour toi dans cette expérience ?
    Je dirais que ce qui a été difficile c’est l’impression de perdre ma soeur. Je ne reconnaissais plus la personne qu’elle était, alors que nous avons toujours été très proches. Je me suis aussi sentie très seule car personne d’autre dans ma famille n’était proche d’elle. Aussi, j’avais très peur pour sa vie car elle mélangeait des médicaments, elle conduisait… j’avais l’impression qu’à tout moment on pouvait m’appeler pour m’annoncer une mauvaise nouvelle.
  • As-tu parfois ressenti que tes propres besoins ou émotions passaient au second plan ? T’es-tu sentie parfois obligée de les taire ?
    Totalement. Pendant plusieurs mois, tout tournait autour de ma soeur.
  • Vis-à-vis de tes parents, qu’as-tu ressenti ?
    Comme précisé plus tôt, mes parents n’ont pas été présents et je leur en ai beaucoup voulu (je leur en veux encore). J’ai ressenti de l’incompréhension, de la frustration, de la surprise, de la colère et puis finalement de la tristesse.
  • Est-ce qu’il y a des choses que tu aurais aimé entendre ou recevoir (écoute, informations, soutien) à certains moments ?
    J’avais besoin qu’on me dise que je faisais ce qu’il fallait, que je prenais les « bonnes » décisions. Je me sentais totalement perdue face à tout ça.
    Comment réagissent tes proches, amis ou collègues quand tu leur parles de la situation ? Te sens-tu comprise ?
    J’en ai beaucoup parlé quand tout a commencé, et je me suis sentie très entourée. Comprise non je ne pense pas, à part par des gens qui connaissent des personnes avec des troubles similaires. 
    Depuis, je n’en ai pas reparlé à de nouvelles personnes.
  • Et si tu n’en parles pas, pourquoi ?
    C’est difficile à dire, déjà ça ne vient pas trop dans la conversation. Aussi, je pense qu’il y a une forme de honte à parler de ces sujets, c’est très intime, c’est mal compris. Je préfère le garder dans ma sphère (très) privée.
  • Qu’est-ce qui t’aide ou t’a aidée à avancer dans ce parcours en tant que sœur ?
    Ce qui m’a aidé et m’aide encore c’est de m’informer. Lire, beaucoup, sur le sujet. Découvrir la maison perchée et d’autres associations, ça m’a aidé à avoir des réponses, à parler avec des personnes concernées. J’ai eu un grand sentiment de confusion, d’incompréhension, et l’information m’aide.
  • Est-ce qu’il y a des moments où tu te sens partagée entre ton rôle de sœur, ton affection, et d’autres émotions plus complexes (culpabilité, impuissance, colère…) ?
    J’ai été très en colère contre ma soeur pendant longtemps, ensuite j’ai été triste. Je me suis aussi sentie impuissante, bien sûr. Aujourd’hui je pense avoir trouvé un meilleur équilibre: je serai toujours là pour elle mais je n’ai pas à mettre ma vie sur pause non plus.
  • Comment a évolué ta relation avec ton frère/ta soeur au cours du temps ? 
    J’ai eu l’impression qu’on avait une relation un peu hypocrite quand ça s’est calmé. Moi, je ne lui racontais plus rien de ma vie. Je voulais juste m’assurer qu’elle allait bien. Je n’avais plus trop envie de l’appeler, de la voir, mais je le faisais car je me sentais coupable, obligée, et que j’avais peur de couper le lien. Petit à petit on réussit à avoir une relation similaire à celle d’avant, mais quelque chose s’est quand même brisé. 
  • Comment arrives-tu à préserver ton propre équilibre psychique aujourd’hui ?
    Je crois que maintenant je connais mieux mes limites, mes droits. Je connais un peu mieux aussi les troubles bipolaires donc ça me fait moins peur.
  • Avec le recul, y a-t-il quelque chose que tu aimerais dire à d’autres frères et sœurs qui vivent une situation semblable à la tienne ?
    Je voudrais leur dire que tout ce qu’iels ressentent est normal: colère, honte, culpabilité, incompréhension, frustration, tristesse… Chacun gère comme iel peut. Je voudrais aussi et surtout leur dire qu’iels ne sont pas seul.e.s, il y a beaucoup plus de personnes concernées qu’on le croit. Et pour finir: on peut vivre avec, et bien.  » J.M

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Peux-tu nous raconter comment tu as vécu les premiers moments où tu as compris que quelque chose n’allait pas chez ton frère ?
Au départ je l’ai vécu comme un élément qui parasitait la vie de toute la famille. Il était insistant, avait des idées très délirantes, hyper négatives avec beaucoup de paroles complotistes et cela générait beaucoup de stress et de malaise au sein de la famille. Nous n’avions pas pensé à une maladie psychiatrique dans les premières années notamment entre ses 17 et 20 ans, on pensait tous que c’était sa nature, qu’il avait un comportement d’opposition, qu’il se sentait persécuté par tout le monde et que c’était juste dans sa tête mais sans le matérialiser comme un trouble psychique potentiellement grave et pour cela nous ne lui avons apporté aucune aide externe. Nous étions plutôt agacés par son comportement et par le climat délétère qui régnait dans la maison à cause de lui entre autres.
Nous avons réellement réalisé que quelque chose n’allait pas et qu’il y avait un réel trouble quand il a fait sa première crise psychotique, autour de 20 ou 21 ans pendant ses études supérieures. Et malgré cela, du fait de notre ignorance, nous étions d’abord dans un état de rejet et de mise à distance plutôt que dans la volonté de lui venir en aide.
Qu’as tu ressenti à l’annonce du diagnostic (s’il a été posé) ? Quel âge avais-tu à ce moment-là ?
L’annonce du diagnostic m’a fait peur d’autant plus que j’avais 23 ou 24 ans et que j’avais déjà vécu beaucoup d’épreuves avec lui. Ce diagnostic est arrivé après plusieurs autres diagnostics. Il est passé d’un diagnostic de bipolarité un peu avant ses 20 ans, à un diagnostic de schizophrénie autour de 20/21 ans puis un diagnostic de borderline pour encore revenir à un diagnostic de schizophrénie plus récemment.
Poser un diagnostic semblait donc un long chemin de croix avec une incertitude de la part des experts médicaux qui ne permettait pas de croire à 100% à ce que disaient les psychiatres. Cela générait un fort sentiment de désarroi et de fragilité de la part de notre famille et plus particulièrement de ma maman qui portait beaucoup sur ses épaules. J’ai vécu les changements de diagnostics, les crises psychotiques et délirantes, les prises de traitements et les arrêts dans ma vingtaine, lors de mes études supérieures et mon début de carrière professionnelle et j’étais souvent en première ligne pour vivre les crises avec lui ce qui fut particulièrement éprouvant pendant ces années où je me cherchais aussi et où
j’étais moi-même amenée à me sentir instable psychologiquement.
En quoi cette situation a-t-elle modifié ta place ou ton rôle au sein de ta famille ?
Ce trouble et les soubresauts qui ont jalonné notre vie en raison des décompensations et des diverses crises a été le sujet qui a occupé mes parents depuis maintenant plus de 15 ans. Je me suis donc sentie depuis très jeune sans réelle place au sein de notre petite famille. Je me suis faite petite, je me suis autogérée très vite, j’ai même souvent pris sur mes épaules des choses que j’aurais préféré ne pas gérer mais le poids du trouble était trop grand à porter et je voyais bien que ma mère ne pouvait pas être plus présente pour moi.
Mon rôle dans la famille s’est donc rapidement transformé en un rôle d’adulte responsable qui doit rapidement grandir et supporter un quotidien un peu dur à encaisser quand on n’a que 20 ans. Mais je l’ai mené de front et je n’ai pas vraiment demandé qu’on fasse aussi attention à moi car je mesurais la charge énorme que cela représentait d’être un
parent/proche aidant d’un enfant touché par un trouble psychiatrique aussi difficile.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour toi dans cette expérience ?
Le plus difficile est de voir oh combien nous étions tous démunis face à ce trouble. Le plus difficile est aussi de voir ma mère porter seule le poids d’un fils schizophrène que tout le monde rejette, ou a peur de lui, avec cette souffrance d’une mère qui ne voit pas d’avenir pour son fils. A cela s’ajoute le fait que mon père a toujours été dans le déni, et a contribué
à empirer la situation de mon petit frère au lieu d’être un pilier aux côtés de ma mère pour affronter comme une équipe cette épreuve.
Le plus dur aussi c’est d’avoir vécu certaines crises psychotiques/délirantes pendant des moments de confinement ce qui a augmenté la dimension traumatique de ces moments. Et les tentatives de suicide, ce sont des moments où ton monde s’écroule, où tu crains pour lui et tu paniques en pensant aux conséquences sur toute ta famille.
Une dernière chose qui est difficile est le fait de voir que même les médecins ne sont pas complètement sûrs d’eux, qu’il n’y a pas de traitement sûr qui permette de retrouver facilement une vie plus apaisée.
As-tu parfois ressenti que tes propres besoins ou émotions passaient au second plan ? T’es-tu sentie parfois obligée de les taire ?
Oui énormément. Dans ma famille, il y avait deux éléphants dans la pièce, la maladie de mon petit frère et la perversion narcissique de mon père. Il n’y avait pas de place pour d’autres besoins. J’ai parfois ressenti de la colère, parfois de la frustration, et parfois du désespoir voire de la culpabilité de ne pas pouvoir aider ma mère davantage.
Vis-à-vis de tes parents, qu’as-tu ressenti ?
J’ai ressenti un fort sentiment d’abandon toute ma vie, que mes besoins ne seraient jamais adressés, qu’il y aurait toujours un problème plus important que le mien à gérer. Mes sentiments étaient différents vis-à-vis de chacun de mes parents. Vis-à-vis de ma mère je ressentais beaucoup de culpabilité de ne pas pouvoir la soulager d’avantage car c’est elle qui portait tout sur ses épaules. Pendant les moments forts de ma vie je lui en ai un peu voulu de ne pas pouvoir être présente pour moi (comme la naissance de mes enfants, ma remise de diplôme, ma naturalisation…). Mais en général j’avais plutôt de l’empathie
envers ce qu’elle endurait et je ne voulais pas en ajouter davantage.
Vis-à-vis de mon père, j’ai ressenti de la colère, souvent un sentiment d’abandon, et une sorte de sentiment d’absurdité que lui qui était médecin ne comprenait pas que son fils ait une maladie psychique grave et qu’il fallait tout faire pour l’aider au lieu de le noyer davantage dans des exigences et une pression de réussir qui n’avait aucun sens.
Est-ce qu’il y a des choses que tu aurais aimé entendre ou recevoir (écoute, informations,soutien) à certains moments ?
Oui, j’aurais aimé être mieux guidée pour affronter ce trouble et ce qu’il implique pour une famille. Qu’on nous prévienne des risques, des choses auxquelles on serait amené à faire face, comment y faire face, sur qui on peut reposer pour nous venir en aide… Ce n’est que très récemment que je suis tombée sur la maison perchée ou encore des programmes de psychoéducation comme Profamille et que j’ai pu voir que tout un monde existe pour trouver une écoute, un sens du partage d’expérience et de la psychoéducation autour de ces troubles méconnus du public et souvent extrêmement stigmatisés ce qui rend les choses encore plus difficiles dans le quotidien des proches aidants.
Comment réagissent tes proches, amis ou collègues quand tu leur parles de la situation ? Te sens-tu comprise ?
Non pas vraiment. Très peu de gens sont sensibilisés à ce genre de sujet, il y a beaucoup de peur, d’idées reçues ce qui engendre des paroles malencontreuses la plupart du temps. Ces paroles sont assez destructrices pour le moral de la famille et du proche aidant car cela vient s’ajouter à un quotidien déjà difficile.
Et si tu n’en parles pas, pourquoi ?
Je n’en parle pas à beaucoup de monde car il y a encore beaucoup de tabous autour des troubles mentaux notamment la schizophrénie et que souvent je n’ai pas la force de faire face au jugement d’autrui ou à des paroles blessantes qui reposent sur des idées complètement erronées sur ces troubles.
Qu’est-ce qui t’aide ou t’a aidée à avancer dans ce parcours en tant que sœur ?
M’informer beaucoup, lire des livres, appartenir à un groupe de parole, écouter des podcasts,… J’ai aussi entrepris un échange plus régulier avec mon frère basé sur l’écriture qui m’a beaucoup aidé à le comprendre et à rentrer un peu plus dans son monde et voir à la fois la souffrance qu’il endure mais aussi la richesse de son univers.
Est-ce qu’il y a des moments où tu te sens partagée entre ton rôle de sœur, ton affection, et d’autres émotions plus complexes (culpabilité, impuissance, colère…) ?
Oui c’est sûr, ce n’est pas du tout linéaire. Il y a des jours où on ressent beaucoup d’amour et un fort sentiment d’affection. On se dit que grâce à cette complicité, ce soutien ça va aller mieux. D’autres jours on se sent dépassé, impuissant, entraîné dans une négativité qui semble insupportable à absorber. Comme je l’ai dit plus tôt, on peut ressentir aussi beaucoup de colère envers ce frère qui prend toute la place et en même temps on ressent une certaine culpabilité, on se dit pourquoi lui et pas moi quand on voit toute la souffrance qu’il peut endurer. Ce sont des montagnes russes émotionnelles. c’est très éprouvant et c’est le chemin de toute une vie.
Comment a évolué ta relation avec ton frère au cours du temps ?
Nous étions très proches enfants. J’étais un peu sa deuxième maman. D’ailleurs je lui disais de m’appeler maman quand nous étions enfants, puis à l’adolescence il me dérangeait. Je n’avais pas envie de l’avoir dans ma vie. Inconsciemment, je le rejetais et plus tard j’ai ressenti beaucoup de culpabilité de lui avoir fait ressentir du rejet mais j’avais parfois peur qu’il m’embarrasse devant mes amis, moi qui avais un besoin extrême de validation auprès d’autrui.
Puis après les années d’études supérieures, il a vécu avec moi sur plusieurs périodes et nous étions à la fois très proches et à la fois dans un rapport conflictuel du fait de la proximité et de la responsabilité que mes parents m’avait fait porter pendant une phase clé de ma vie.
Plus récemment, notre relation est beaucoup plus apaisée, l’affection et l’amour entre nous priment sur le reste et je suis plus à l’écoute et plus présente pour le comprendre et lui apporter mon soutien.
Comment arrives-tu à préserver ton propre équilibre psychique aujourd’hui ?
Je n’y arrive pas vraiment pour l’instant. D’autant plus que je viens de vivre un drame récemment et que mon fils a été diagnostiqué TDAH pour ne citer que quelques éléments impactant de ma vie. Je chemine donc pour me reconstruire et trouver les bonnes ressources pour trouver un équilibre mais je n’y suis pas encore.
Avec le recul, y a-t-il quelque chose que tu aimerais dire à d’autres frères et sœurs qui
vivent une situation semblable à la tienne ?
Oui j’aimerais dire qu’il faut garder espoir et surtout qu’il faut chercher de l’aide, se renseigner le plus possible, et surtout pour ceux qui sont des proches aidants par choix ou par la force des choses, de se mettre d’abord le masque à oxygène, de se faire aider pour affronter cette tempête car la plupart du temps on ressent un ouragan sans avoir les outils d’y faire face. Alors il faut vraiment s’armer de toutes les ressources et outils disponibles pour être en mesure de survivre à cette expérience de vie.  SAJ

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– Témoignage d’Elsa, soeur d’un frère bipolaire, proche pair aidante, animatrice de groupe de parole et vice-présidente de La Sentinelle des Aidants Regardez le témoignage d’Elsa

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